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JoalSenegal
12 décembre 2011

LE SENS DU TERME NEGRITUDE

C’est un néologisme que Césaire a employé pour la première fois dans le Cahier d’un retour au pays natal en 1939. Voici une des définitions que l’auteur en donne :

« La négritude est la simple reconnaissance du fait d’être noir, l’acceptation de ce fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre culture ».

 

Mais avec le temps, ce concept de Négritude s’est développé et il est nécessaire d’en délimiter aujourd’hui l’étendue.

On peut dire, comme définition générale, que la Négritude est la façon dont les Négro-africains comprennent l’univers, c’est-à-dire le monde qui les entoure, la nature, les gens, les événements : c’est aussi la façon dont ils créent. Cette conception de la vie est déterminée par deux sortes de phénomènes : les phénomènes de civilisation et les phénomènes historiques.

2.1. Les phénomènes de civilisation

« Il n’y a pas de peuple sans culture » a écrit Claude Lévi- Strauss. L’Afrique a depuis l’Antiquité produit des cultures si riches et si originales que le savant allemand Leo Frobenius [8] constatait qu’il existait vraiment une civilisation africaine portant d’un bout à l’autre du continent noir « la même frappe », c’est-à-dire le même cachet. « Partout nous reconnaissons un esprit, un caractère, une essence semblables ». Cet ensemble de caractéristiques forme le « style africain » :

« Quiconque s’approche de lui reconnaît bientôt qu’il domine toute l’Afrique, comme l’expression même de son être. Il se manifeste dans les gestes de tous les peuples nègres autant que dans leur plastique. Il parle dans leurs danses comme dans leurs masques, dans leur sens religieux comme dans leur mode d’existence, leurs formes d’Etats et leurs destins de peuples. Il vit dans leurs fables, leurs contes, leurs légendes, leurs mythes... ».

 

Cela veut simplement dire que les Noirs d’Afrique ont créé au cours des siècles des religions, des sociétés, des littératures et des arts tellement particuliers qu’on les reconnaît entre toutes les autres civilisations de la terre. Cela veut dire encore que cette civilisation africaine a marqué de façon indélébile les manières de penser, de sentir et d’agir des Négro-africains.

Si l’Africain est différent des autres, c’est parce qu’il hérite d’une civilisation différente et de laquelle il réapprend à être fier et non pas qu’il n’avait qu’une civilisation inférieure ou même pas de civilisation du tout comme on le lui a enseigné pour mieux le dominer.

Tous les spécialistes de l’étude des civilisations sont d’accord aujourd’hui pour reconnaître que l’Afrique a inventé une civilisation valable et intéressante.

L’Afrique avant l’arrivée des Blancs n’était absolument pas sous-développée sur les plans artistique, littéraire, religieux, familial, juridique, moral, politique etc., même si elle accusait un retard technique. Ainsi « l’idée du nègre barbare est une invention européenne » a dit Frobenius.

La constante de la civilisation africaine et la psychologie particulière qui en résulte, forment les bases de la Négritude. C’est à cette constante culturelle que Thomas Melone se réfère lorsqu’il écrit : « la Négritude est le propre du nègre comme c’est le propre du zèbre de porter des zébrures ». C’est également à cette constante que pense Léopold Sédar Senghor quand il définit la Négritude comme étant le patrimoine culturel, les valeurs et surtout l’esprit de la civilisation négro-africaine.

2.2. Les phénomènes historiques

 

Mais l’harmonie de ces cultures, assez solides pour permettre à l’homme noir de vivre et d’être heureux en dépit d’un très faible essor technique, va être détruite par la chasse à l’homme que les Portugais inaugurèrent au XVe siècle et qui dura pratiquement jusqu’en 1870. La traite, qui coûta au continent africain environ cent millions d’hommes, désorganisa les sociétés côtières et propagea ses désordres dans l’intérieur, d’où l’on drainait les esclaves en caravanes vers les principaux marchés qui s’échelonnaient de la Guinée au Congo.

L’esclavage dans les plantations d’Amérique, puis, à peine la traite terminée, la colonisation qui, de 1850 à 1960, s’étendit sur tout le territoire africain, les innombrables brimades dont les Nègres du monde entier furent l’objet, que ce soit la ségrégation ou l’assimilation, les lynchages ou les travaux forcés, les préjugés raciaux ou culturels ont causé une série de traumatismes qui ont profondément altéré la Négritude première et ont détruit l’équilibre même de l’homme et des sociétés noirs.

Le psychiatre Frantz Fanon a particulièrement bien analysé les troubles chez les Noirs des Antilles dans son livre Peau noire, masques blancs : le complexe d’infériorité, la honte de sa couleur, la passivité et la paresse qui sont des signes de découragement social ou encore l’imitation, la singerie du Blanc dans l’espoir de ressembler au maître, la tentation de se « blanchir » même physiquement (en se poudrant, s’enduisant de fards clairs, en se défrisant les cheveux), même biologiquement (en cherchant à épouser un Européen ou à avoir un enfant mulâtre), l’abandon quasi général des coutumes et croyances africaines pour acquérir l’instruction, les religions, les habitudes et les objets européens, tout cela traduit jusqu’à quel point les Noirs ont été ébranlés dans leur confiance en eux-mêmes, jusqu’à quel point ils ont essayé d’échapper à leur Négritude. L’esclavage et la colonisation ont vraiment failli réussir un « génocide culturel » a dit Marcien Towa [9].

Aussi les manifestations d’agressivité raciste contre les Blancs au Congo ou en Amérique, la susceptibilité des Africains récemment décolonisés, les cris de révolte, la condamnation globale de l’Europe, y compris de sa civilisation, l’exaltation de la valeur de sa race ne sont qu’une réaction normale, peut-être même nécessaire, une vraie « Légitime Défense » contre ce génocide. Ce que Jean Paul Sartre appelle « la négation de la négation du nègre ».

2.3. L’Avenir de la Négritude

L’histoire continue d’avancer et de nouvelles variables remplacent ou modifient les anciennes. Senghor s’adresse ainsi à la jeune génération qui réclame une autre Négritude :

« Nous n’avons été que des précurseurs, nous avons commencé, c’est à vous de continuer. Il nous faut toujours réinventer la Négritude, donner au mot une nouvelle forme de la Négritude mais le fond de la Négritude, le style de la Négritude est un style éternel, car c’est le style nègre, qui est aujourd’hui le style le plus nécessaire au monde, le style qui n’est pas symétrique, le style qui n’est pas monotonie, le style qui n’est pas répétition, le style qui n’est pas soumission, le style qui n’est pas logique. Il faut briser cet ordre ancien, cet ordre mort - on a toujours besoin, le monde aura toujours besoin des valeurs de la Négritude car ce monde devra toujours détruire le mort, réinventer la vie » [10].

 

Avec les indépendances africaines nous assistons à une nouvelle transformation de la Négritude. Le Nègre, comme l’a dit René Maran, redevient « un homme pareil aux autres » en liquidant ses anciens complexes tant d’infériorité que d’agressivité compensatoire.

Quels que soient leur rang social et les marques de l’éducation européenne, les Noirs conservent, pour peu qu’ils restent en groupe important, les traits suffisamment intacts d’une psychologie africaine et d’une culture africaine, qui donnent à leurs œuvres et à leur comportement moderne un cachet aisément reconnaissable :

 

- en musique, c’est le rythme bien particulier du jazz ;

- en littérature - qu’ils écrivent en anglais ou en français - les poètes et prosateurs négro-africains impriment à ces langues des rythmes, des images, des raisonnements, des expressions purement africaines. Pour Senghor, « le Noir donne l’impression qu’il est facilement assimilable, alors que c’est lui qui assimile ». Ainsi la Négritude de demain fera la synthèse de cette civilisation ancestrale et des apports étrangers - particulièrement scientifique et technique - qui permettront à l’Afrique de s’adapter au monde moderne.

On peut conclure sur ce point en retenant que la Négritude peut être considérée comme :

 

- l’expression d’une race opprimée - à ce sujet Césaire (Cahier d’un retour au pays natal) parle de « la Négritude mesurée au compas de la souffrance »,

- la manifestation d’une manière d’être originale - Senghor dira « pour asseoir une révolution efficace, notre révolution, il nous fallait d’abord nous débarrasser de nos vêtements d’emprunt - ceux de l’assimilation - et affirmer notre être, c’est à dire notre Négritude »,

- un instrument de lutte - Senghor y voit non « une pièce de musée », mais « l’instrument efficace de libération », tandis que Césaire affirme sa détermination d’être le « bêcheur » de sa race « pour que revienne le temps de promission, »

- un outil esthétique - Césaire qui se situe sur le terrain politique et sociologique définit la Négritude comme « la conscience d’être noir, la simple reconnaissance d’un fait, qui implique une acceptation, une prise en charge de son destin de noir, de son histoire et de sa culture », alors que Senghor qui se situe sur le plan littéraire croit y apercevoir une forme d’expression spécifique fondée sur le rythme et le ton : « La monotonie du ton c’est ce qui distingue la poésie de la prose, c’est le sceau de la Négritude, l’incantation qui fait accéder à la vérité des choses essentielles ».senghor

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